Souvenirs
Fragments de vie, éclats de rire, et souvenirs épars
Dans les textes qui suivent, quelques proches et amis racontent des anecdotes et des souvenirs du passage de Claude Bibeau dans leur vie. Claude avait le don de rendre magiques les moments que nous passions avec lui ; peu étonnant qu’il nous ait tant marqués.
Il y a bien d’autres amis que je n’ai pu rejoindre : les Johanne Nadeau, Marjolaine Jacob, Mireille Brisset, André Larocque, Jean-Luc Duhamel…. SI vous lisez ces lignes et qu’il vous vient des réminiscences, couchez-les sur papier ou dans un courriel et envoyez-les-moi à : cm1625@videotron.ca
Christian Bédard
« Cet intérêt pour le dessin et tout ce qui touchait les travaux exigeant dextérité et finesse, allait le placer en marge de la société des garçons de son âge. Une conscience floue de sa différence dut certainement influer sur le cours de son adolescence et, comme bien des jeunes garçons dans sa situation, il eut à subir quolibets et avanies de la part de ses compagnons de classe. Puis, des expériences avec les drogues douces et le LSD, accentuèrent le processus de marginalisation tout en contribuant à affirmer sa personnalité d’artiste, ce qui l’amena bientôt à quitter l’école. »
Un ami anonyme
J’étais le plus âgé d’un groupe de jeunes artistes de Drummondville, en théâtre, en arts visuels et en poésie et je venais de terminer mon cours classique à Sherbrooke. Claude en faisait aussi partie. On allait boire au bar de l’Hôtel 400 environ cinq soirs par semaine. Il parlait création, peinture, surtout avec Colin Chabot qui s’aventura à lancer le manifeste du Mouvement Bonbon. Pour Claude, ce manifeste semblait plus un jeu, une manière de faire sa marque dans le groupe.
Les peintres de ce groupe exposèrent au Centre Culturel de la ville lors des événements Premier et Deuxième Automne. Je connaissais un peu le travail de Claude. Une peinture figurative qui demandait déjà beaucoup d’application.
C’est à Montréal que Claude perfectionna son travail. À l’occasion je passais chez lui et j’admirais toujours sa belle collection de jouets en métal qui l’inspirait beaucoup en refigurant des tableaux anciens.
Claude ne parlait pas beaucoup et semblait même gêné. Je ne sais absolument rien sur sa famille. Il n’en parlait jamais.
Même si mon travail se rapproche davantage de l’art brut, du travail à l’encre de Chine, j’ai toujours admiré la détermination et l’application de Claude dans son travail.
Pierre Bellemare
Assise à ma table, j’ai mis un CD de Juliette Gréco en arrière-plan : on en a tellement écouté du Juliette Gréco ! Héritage de sa mère qui était passionnée par les chanteurs français.
Claude et moi on s’est rencontrés en 1976 quand je suis revenue à Drummondville après un séjour de trois ans à Québec. J’ai été engagée comme comédienne dans la troupe de théâtre pour enfants, La Cannerie. J’y ai rencontré Claude et nous sommes tout de suite devenus des complices. On se donnait la réplique et je l’assistais dans la confection des décors.
À Québec, j’avais suivi plusieurs ateliers de peinture et suivi un cours d’Arts plastiques au CEGEP. Donc pendant cette période théâtrale on se rencontrait à chaque dimanche et on se faisait un après-midi de peinture qui se terminait toujours par un « dessert-café ». Claude adorait cuisiner des desserts, en particulier et souvent, des tartes.
Plus tard, installés à Montréal, on se faisait des brunch « spécial tartes ». Chaque invité devait apporter une tarte sucrée ou salée. Je revois la grande table de la salle à manger remplie de tartes de toutes les couleurs. Merveilleux !
On a été colocs à quelques reprises sur Henri-Julien où Claude a habité jusqu’à la fin. On partageait le même atelier de peinture, et je lui servais souvent de modèle.
Je revois sa petite cour, qui au départ était nulle, sans aucune végétation, vide. Claude en a fait un jardin d’Eden, une oasis. D’année en année la végétation s’est installée et abritait des soupers mémorables entre amis.
Claude transformait tout en beauté. Sa vie de tous les jours était de la création ! Et il y avait toujours un café théâtral, bien sûr. Des costumes, il y en a eu ! Et pas seulement à l’Halloween ! Souvent, à la dernière minute il pouvait se confectionner un costume. Ça me rappelle un souvenir entre autres : alors que je travaillais à mon restaurant (Les Belles Sœurs), il s’était déguisé en Hell’s Angels, perruque à l’appui, etc… À son arrivée, j’ai eu peur, bien sûr je ne l’ai pas reconnu. Il était rendu maître en la matière. Donc j’étais sur le point de fermer, je lui en ai fait part, je ne voulais surtout pas le servir ! Il me répond : « un café seulement ».
Je lui sers et lui demande de payer. Je revois encore les images : alors il met les mains dans ses poches qui étaient remplies de bonbons et il se met à les garrocher sur le comptoir, des dizaines et des dizaines de bonbons ! Je pousse un cri. Encore une fois il m’avait eue !! J’ai reconnu Claude, mais j’ai eu peur d’un hold-up.
Une autre fois, lors d'un 5 à 7 chez lui, j'étais arrivée et notre Claude en question était absent, supposément parti faire une course. Donc il y avait plusieurs personnes déjà assise dans le salon. J'ai salué les gens mais il y avait un gars disons au look bien spécial et avec un langage qui ne faisait pas Plateau. En lui serrant la main il me lança, « Té pas mal sexée !!! » Un peu surprise quand même je me dirigeai vers une place qui était libre, il me rattrape par la taille et m'assied sur lui. En essayant de me libérer j'ai su au rire des autres invités qu’encore une fois il m'avait eue !!
Sur le même thème, les costumes : à l’époque les gars sortaient beaucoup dans les tavernes gaies, où les femmes ne pouvaient pas entrer. Claude voulait que je sorte avec eux, donc je suis devenue « Den ». Il m’a coupé le bout de mes cheveux et m’en a fait une moustache, puis habillée d’un frock en jeans. La consigne était que je ne devais pas parler à cause, supposément, d’une grande timidité. Souvenir inoubliable : je me suis fait « cruiser » quand même !!
Avec Claude, souvent, une journée plate se transformait en fête.
Claude a été mon grand ami. On s’aimait d’un amour profond. Des belles folies, on en a fait beaucoup ensemble ! On était sur la même longueur d’onde, si je peux m’exprimer ainsi.
Aujourd’hui, je ressens toujours sa belle énergie.
Claude était quelqu’un de discipliné, et il avait une grande rigueur dans sa peinture. J’ai retenu une phrase qu’il me disait à chaque fois que je terminais un tableau. Il me demandait « Es-tu satisfaite complètement du résultat final ? » Si j’avais la moindre hésitation il me disait que je devais poursuivre, que mon tableau n’était pas terminé. Encore aujourd’hui je me pose la même question. Merci Claude !
Dans tout ce qu’il faisait, Claude avait comme but ultime, je crois, de toucher à la beauté de ce monde, en lequel Claude avait une vision pessimiste. Mais nous, on savait qu’il aimait la vie dans tous ses détails.
Souvenir de Claude qui me revient souvent : Barbe bleue et ses sept femmes. On se promène sur la rue St-Denis, bras dessus bras dessous. Il a teint sa barbe noire en bleu. C’est très beau et surprenant, comme tout ce qu’il fait. Je vois bien les regards des passants. Nous on a le sourire aux lèvres, on devient des personnages.
Je le regarde et lui dis : « Les gens nous regardent et ils ont l’air de se demander laquelle de ses sept femmes je suis. » Il me regarde, « On triche, ma pitchounette, parce que tu sais bien que tu es la seule ! »
Mon cœur se réchauffe à ce souvenir. Toi aussi, mon cher Claude, tu resteras toujours le seul, l’unique !
Denise Larocque
Moi, l’adolescente qui quittait Montréal, j’ai atterri, au début des années 70, dans une petite ville de province, à Drummondville. Quelle erreur j’aurais commise si j’étais repartie par le premier autobus vers Montréal. Combien ma vie aurait été différente si je n’avais pas rencontré, à cette époque, tous ces artistes, peintres, comédiens, metteurs en scène et écrivains qui déjà y bouillonnaient de créativité. Des artistes en devenir qui se développaient à travers les expositions et les spectacles, avec toujours le besoin de s’exprimer, se dépasser et se démarquer. Une incroyable bulle artistique où tout le monde se connaissait et échangeait. Au fil des mois suivant mon arrivée, je commençais à m’intégrer à cette cohorte artistique. Quels coups de cœur d’amitié seraient restés sans suite si je m’étais terrée. J’apprenais à connaître Pierre Bellemare et Claude Bibeau avec qui je ressentais des affinités et une compréhension mutuelle, malgré nos différences.
J’adorais la présence de Claude, j’admirais sa personnalité atypique, sa créativité débordante, son physique gracieux et un brin exotique, son regard perçant, son sourire moqueur et sa façon d’être toujours lui-même sans restriction. Je l’ai vu se déployer à travers les expositions d’Automne et la naissance du Mouvement Bonbon en 1973. De mon côté, je m’orientais vers le jeu théâtral. La même année, nous fondions une compagnie de théâtre pour enfants : Le Théâtre La Cannerie. Claude s’intégra à l’équipe vers 1976, mais moi je n’y étais plus. J’y revins vers 1978, lors de ma collaboration à la mise en scène de la pièce « Celui qui le dit c’est celui qui l’est » avec Claudette Chapdelaine et j’ai été conquise par ses multiples talents d’improvisateur, de scénographe et de comédien. Quel plaisir que de se laisser porter par ses élans artistiques.
Claude, je l’ai ensuite retrouvé à Montréal, à cette adresse mythique du 4444 Henri-Julien qu’il habita sans la superstition des mauvais présages reliés à ces nombres.
Claude c’est aussi le souvenir d’un certain week-end à Ogunquit. Déjà au début des années 80, la réputation de cette ville côtière et de la colonie gay qui s’y retrouvait, avait traversé les frontières. Nous roulions vers Ogunquit, entassés à cinq dans la petite Rabbit de mon amoureux, accompagnés de Claude et son Michel, ainsi que d’un autre ami. Grisés par l’air marin et une soirée à danser à la fameuse disco Annabelle…des moments hauts en couleurs, remplis de surprises et de rebondissements.
Claude restera toujours pour moi, relié à l’Aigle noir de Barbara qu’il chantait avec intensité. Mais Claude, plus que de bons souvenirs, c’était l’ami attachant, celui avec qui on se sentait bien parce qu’il ne nous imposait aucune contrainte. Lorsque je regarde tous ses autoportraits, c’est dans celui de l’Autoportrait au gilet vert, que je reconnais le plus le Claude Bibeau que je fréquentais, le visage tourné vers l’avenir qu’il voulait parsemer d’étoiles, pour peut-être estomper certaines appréhensions.
Un jour en entrant dans son atelier, j’y découvris avec surprise une grande toile au mur sur laquelle était projetée une diapositive de moi assise dans un fauteuil. Il dessinait au crayon le contour des vêtements que je portais, sur un fond de toile tout en cerises ainsi que ce fameux fauteuil vert aux motifs de cerises, ton sur ton. Absolument ravie lorsqu’il me la montra une fois terminée, j’ai cru que pour l’instant d’une toile, je fus jadis sa muse d’un jour.
Danielle Allie
Souvenirs de mon grand-frère
Alors que j’avais seulement 13 ans, Claude et moi sommes partis sur le pouce, direction Montréal, pour aller chercher des souliers car je n’en trouvais pas à mon goût à Drummondville. Mais quelle expérience à cet âge ! Et puis après les achats nous sommes allés boire un expresso. Ça aussi c’était la première fois que je buvais du café. La première gorgée pas très bonne mais après on s’y fait. J’étais très impressionnée que mon frère prenne de son temps pour passer une journée entière avec sa sœurette.
En 1997, Claude partait en voyage à l’extérieur. Il m’a demandé de passer chez lui pour arroser les plantes. J’ai tout de suite accepté car il y avait un 20$ et un gros joint qui m’attendaient. Il me faisait confiance et j’ai bien apprécié.
Été 1998
Peter et moi et les enfants avions convenu de passer chercher Claude pour se rendre è la Ronde J’en croyais pas mes yeux de voir mon frère comme un enfant dans les manèges. Et puis vers la fin de la journée Claude s’est tapé une grosse crème glacée et puis on a fait un dernier tour. Et quand il est sorti de ce manège il était presque vert : la crème glacée y était surement pour quelque chose ! On s’est bien amusé.
Denise Bibeau
Quand je repense à mon oncle Claude, la première image qui me vient en tête est une photo de nous deux alors que j’avais environs trois ans. Claude me tient dans ses bras, arborant un casque de frappeurs bleu des Expos de Montréal et moi, un casque de moto jaune.
À cet âge, ma mère m’amenait souvent prendre des marches et nous arrêtions à l’appartement de Claude. Mes souvenirs sont flous mais je me rappelle d’une cuisine pleine de soleil et Claude qui sourit. En fait, je n’ai pas de souvenir de Claude qui ne sourit pas.
Notre famille ayant régulièrement des chicanes, Claude a un jour cessé de nous visiter et ce durant 10 ans. Lorsqu’il a repris contact avec nous, j’avais 14 ans et ce fut un moment tournant pour moi. Il m’avait invité chez lui à Montréal et me montra sa collection de jouets et me fit découvrir la boutique « Le Valet de Cœur » sur la rue St-Denis, près de chez lui. Il invitait régulièrement ma mère et moi chez lui et j’adorais y aller. L’atmosphère chez lui était toujours festive et les discussions intéressantes. Je trouvais son jardin magique avec toutes cette verdure et ces fruits. Je me rappelle d’un hamac accroché près de la clôture où il avait une vigne et en se balançant on pouvait manger des raisins.
A 17 ans, il m’a invité à être chambreur chez lui durant mes études en Cinéma au Cégep. Durant ce temps, il est devenu, sans le savoir, mon mentor sur bien des aspects de la vie. Il m’a appris à cuisiner et nous avions des soupers dans son jardin qui duraient toujours jusqu’à environ 22:00 ou 23:00 avec des cruchons de vin et des desserts à faire rêver. Je me rappelle particulièrement de sa « Bombe aux Fruits » : un bol en meringue remplie de crème pâtissière et de fruits des champs. Un délice.
Il me présenta aussi à ses nombreux amis de la communauté artistique qui m’ont tous, sans exception, fait sentir accepté et m’ont souvent aidé avec mes travaux en Cinéma en me donnant accès à leur collection de films ou en me faisant cadeau de photos.
Pour souligner mes 18 ans, Claude m’avait offert un repas dans le restaurant de mon choix en m’imposant une seule restriction : il fallait que ce soient des mets autres qu’Américain. Nous sommes donc allés dans un restaurant Indien. C’est le seul souvenir de Claude que j’ai où il boit de la bière. Alors que nous commandions nos repas, la serveuse nous demanda au niveau des épices si nous voulions doux, médium ou fort. Claude, avec un sourire narquois, répondit : « Fort ». La serveuse lui précisa alors que doux pour eux était fort pour nous, donc elle voulait être certain du choix de Claude, ce qu’il confirma. Lorsque nos assiettes nous furent servies, Claude commença à manger. Nous avions commandé chacun une bouteille de bière brune anglaise. Soudain, Claude pris sa bouteille de bière et la calla et ensuite prit la mienne et la calla aussi ! Nous avons tout mangé par orgueil, mais nous avions les cheveux mouillés tellement nous étions en sueurs. Je vous évite les détails de quand nous avons dû aller aux toilettes après, mais ce n’était pas joli !
J’ai aussi de très beau souvenir de Claude en train de peinturer dans son atelier. J’adorais le regarder travailler. Je me rappelle d’un tableau qui était une commande spéciale : une reproduction d’un tableau romantique. Claude détestait faire des reproductions de tableau mais le faisait par besoin monétaire. Comme il faisait quelque chose un peu contre son gré, il avait décidé de se venger de façon tellement imaginative. Il avait camouflé dans le feuillage des arbres du tableau une nymphe qui se faisait sodomiser par un satyre. Le tout était pratiquement invisible si on n’était pas au courant du gag et l’image apparaissait si on relaxait devant le tableau, un peu comme les tableaux 3D des années 90.
Il avait dans le passé déjà fait ce genre de coup par vengeance. Il avait un crucifix chez lui en plâtre où le Christ n’avait pas de pagne, mais un énorme pénis. Il m’avait raconté qu’il avait travaillé dans un couvent durant un certain temps et qu’il détestait les « Bonnes Sœurs » ... Il avait donc subtilisé un crucifix et l’avait modifié et raccroché lors de son dernier jour de travail là-bas.
Il m’arrive encore de passer dans la ruelle derrière chez lui. Une partie de moi espère tellement le revoir. Son si beau jardin a été défait et remplacé par des caisses de bière. Cela m’attriste à chaque fois. Il me manque beaucoup.
David Major
Lorsque j'étais enfant, notre maison était entourée de champs vacants peuplés de tales de fraises et autres petits fruits. Lorsqu'arrivait la douce chaleur du mois de juin, Claude avait inventé un rituel fort intéressant pour lui.
Assis sur la grosse souche qui lui servait de trône, le grand Claudius demandait à nous, les plus jeunes de la famille, de lui rapporter la première fraise de l'année. Elle se devait être bien dodue, d'un beau rouge et très savoureuse.
Alors, nous, valeureux petits sujets, partions immédiatement à la recherche de cette fraise à travers les champs afin d'être celui qui réussirait à satisfaire notre grand-frère.
Bien sûr que ce petit manège n'aura duré que quelques années, mais quel plaisir nous avons eu de participer à ces jeux, tout droit sortis de son imagination débordante. Ce fut un privilège pour nous de l'écouter raconter toutes sortes d'histoires rocambolesques, tantôt drôles ou effrayantes, assis sur ce tronc d'arbre, accompagnées de déguisements incroyables qu'il fabriquait lui-même. Claude avait vraiment l'âme d'un artiste.
Tu nous manques beaucoup !
Nathalie Bibeau
J’aimerais raconter quelques souvenirs de Claude. Je l’ai rencontré en 1979. Il venait de déménager de Drummondville. On s’est rencontrés à la danse gaie d’Halloween à l’Université McGill. Michel Gagnon, Colin Chabot et d’autres amis y étaient aussi. Une amie de Claude (Mo, je crois) était déguisée en mariée et Claude était le marié. En route vers Montréal ils ont scandalisé tout le monde dans un restaurant. Ils ont fait semblant d’être un couple qui ne voulait plus être marié. Mo pleurait et les clients traitaient Claude de salaud. Ils ont bien rigolé.
Claude aimait les fêtes traditionnelles comme Noël et il a créé une fête qui est devenue annuelle. C’était la soirée des tartes. Tous les invités devaient apporter une tarte et il y avait un prix pour la meilleure. On n’avait aussi le droit d’apporter une tarte achetée à la pâtisserie.
J’ai beaucoup de joyeux souvenirs et quelques souvenirs tristes, notamment quand le sida s’est introduit dans nos vies. Il nous manque encore beaucoup.
Ron Cawthorn
C’est en février ou mars 1980 que j’ai rencontré Claude Bibeau. Cela se passait à la taverne Bellevue, lieu de rencontre très populaire du milieu gai montréalais de l’époque. Sa tête d’intellectuel de gauche, avec ses petites lunettes rondes qui lui donnaient un air vaguement « léninien » attira mon attention immédiatement. De descendance abénaquise par son père et québécoise par sa mère, Claude avait le teint naturellement basané et, après un été de soleil, son visage prenait la couleur légèrement cuivrée des amérindiens. Il semble bien que je lui plus aussi avec ma gueule à la Champlain, puisque cette rencontre scella le début d’une longue et profonde amitié. Nous allions vivre ensemble quelques déchirements, des deuils dévastateurs mais surtout de nombreux moments de bonheur, de complicité et d’émerveillement partagé.
Claude était arrivé à Montréal l’été précédent et s’était inscrit à des cours de dessin graphique à l’Université du Québec. Il avait emménagé au rez-de-chaussée du 4444 de la rue Henri-Julien avec son ami, Michel Gagnon. Ce fut d’ailleurs le seul appartement qu’il habita à Montréal jusqu’à son décès en 99. Michel et lui étaient en couple depuis quelque temps déjà et leur installation à Montréal était pour eux le commencement d’une vie nouvelle. Claude avait décidé de se consacrer à temps plein à la peinture, bien résolu à laisser sa marque et Michel, le doux Michel l’avait suivi dans cette aventure. Je revois Michel à cette époque, ses yeux bleus et son beau visage barbu encadré par une longue chevelure blonde.
Claude et moi nous revîmes à quelques reprises après cette première rencontre et des liens se tissèrent tout naturellement entre lui, Michel et moi. Je lui avais parlé de mon intention de vivre dans une commune et je me cherchais des gens avec qui partager un appartement. Il avait déjà une idée semblable, celle de louer le second étage du 4444 et d’en faire un seul appartement. Il avait déjà trouvé la quatrième personne qui vivrait avec nous, son amie d’adolescence, Denise Larocque. C’est ainsi que naquit ce lieu un peu magique pour toute une ribambelle d’amis et de connaissances qu’allait être le 4444 Henri-Julien.
Pour moi, c’était aussi le début d’une nouvelle vie. J’étais redevenu célibataire cette année-là et me remettais mal de ma séparation. Claude et Michel m’ont apporté par leur simple présence le réconfort dont j’avais besoin. Je repris progressivement mon travail d’écriture et je crois que cela contribua à donner à Claude une discipline de travail autonome quotidien. Je lui parlais de ce que j’écrivais, j’allais le regarder peindre et discutais avec lui de ses projets ; nous avions une interaction créative très agréable. C’était une époque de découvertes, d’expériences personnelles à tous les niveaux. Le 4444 devint rapidement le centre d’un petit univers amical où chacun pouvait trouver de la chaleur, du réconfort et de quoi manger au besoin. Personne n’était riche mais nous ne manquions de rien.
Michel s’occupait un peu d’artisanat et prenait de temps en temps des contrats de peinture et d’entretien. Il allait plus tard suivre un cours de préposé pour les malades et travailler dans un hôpital pendant quelques années. Claude, ne pouvant subvenir à ses besoins par son art, dut prendre des contrats d’une agence de gardien de sécurité. J’en pris aussi à cette époque pour joindre les deux bouts entre deux bourses d’écriture. Les maigres salaires d’agent de sécurité à temps partiel lui suffisaient pour lui fournir l’essentiel et lui permettre de consacrer le reste de son temps à la peinture et au dessin. Les années 1980 à 1983 furent très prolifiques.
C’est justement vers 1983 qu’il fit la connaissance de Uwe von Harpe, son dernier et plus important partenaire de vie. Comme il vivait encore avec Michel, son premier ami, Uwe et lui vivaient au début chacun dans son appartement. C’est après le décès de Michel, vers 1990, qu’Uwe et Claude emménagèrent ensemble au 4444 Henri-Julien. Ils allaient y vivre quelques belles années jusqu’au décès d’Uwe en 1997.
Uwe était d’origine estonienne et de culture allemande. Sa famille avait fui l’avancée des troupes soviétiques et s’était réfugiée en Allemagne à la fin de la guerre 39-45. Ils avaient immigré en Ontario au début des années 50. Uwe s’est ensuite installé à Montréal où il travailla comme goûteur spécialisé en whiskey chez Seagram. Je ne me souviens plus si Claude et Uwe se sont rencontrés grâce à un ami commun, le peintre Peter Flinsch, allemand lui-aussi ; ou encore s’ils se sont rencontrés fortuitement sur la montagne, comme cela pouvait se faire dans ces années-là. D’ailleurs un tableau intitulé Scène d’automne me semble commémorer cette rencontre. Je crois que c’est par Uwe que Claude et moi avons fait la connaissance de Peter Flinsch. Une belle amitié nous liait qui a duré jusqu’au décès de Peter en 2010.
De nombreux deuils survinrent dans nos vies à la fin des années 80 et durant les années 90, causé par le SIDA bien sûr. Durant cette période tragique Claude en vécut plusieurs, suite au décès de très proches amis et même d’un de ses frères. C’est au début des années 90 que lui et Uwe furent diagnostiqués séropositifs au VIH. Claude et lui profitèrent de ces années pour voyager et poursuivre leur vie le plus heureusement possible malgré la maladie qui progressait. Vers 1996 l’arrivée d’un médicament leur redonna espoir mais sa toxicité, tout en prolongeant la vie de quelques mois, minait leur foie. Claude survécut à Uwe pendant presque deux ans. Ce fut une période d’une grande tristesse malgré la force d’âme qu’il manifesta pour surmonter ce deuil et la maladie qui le minait. Suite au décès d’Uwe, Claude a voulu commémorer sa vie en publiant un recueil de nouvelles qu’Uwe avait écrites au cours de sa retraite. Nous avons travaillé ensemble à la production du livre qui parut en une trentaine d’exemplaires pour distribution aux parents et amis. Ce projet aida Claude à vivre son deuil de façon créative. Mais il avait cessé de peindre et de dessiner vers 1997 et ne trouvait plus l’énergie pour s’y remettre. Après plusieurs séjours à l’hôpital, une septicémie l’emporta en juillet 1999.
Tout au long des années où je l’ai connu, lorsque je ne vivais plus au 4444, nous nous sommes parlés plusieurs fois par semaine quand ce n’était pas tous les jours, surtout vers la fin de sa vie. Au cours des années 90, j’étais souvent avec Claude et Uwe pour des repas, des excursions, et même un voyage en Europe en 1997, quelques mois avant le décès d’Uwe. Je me souviens d’un voyage dans les Maritimes que Claude et moi firent à l’été de 1998. Je nous revois tous les deux, profitant du chaud soleil et de la mer tiède sur une plage de l’Ile-du-Prince-Édouard, pris d’un grand fou-rire car nous étions complètement gelés sur le champignon magique. Par la suite, jusqu’à son décès, je le voyais très souvent après le travail pour souper avec lui et jouer aux dames chinoises. Quand il ne se sentait pas bien, où quand j’étais trop gelé sur la mari, je dormais chez lui et nous déjeunions ensemble le matin.
Après toutes ces années d’amitié et de complicité, son départ marqua ma vie profondément. Je surmontai mon deuil en travaillant à promouvoir son œuvre. En 2002, je publiai une monographie réunissant plusieurs reproductions de ses œuvres accompagnées de textes biographiques ou de commentaires sur son travail créatif. Suivit une tournée d’expositions dans plusieurs villes du Québec, dont Drummondville, son lieu de naissance, et Chicoutimi, mon propre lieu de naissance. Ma famille avait connu Claude auparavant et il avait même produit un tableau qu’il avait donné à ma mère et qui représentait la maison où mes parents vivaient dans les années 90.
Christian Bédard